Gare aux effets secondaires : le traçage de contacts à l’heure de la pandémie en cours
Par Julie Paquette, professeure à l’École d’éthique, de justice sociale et de service public
Si la tendance se maintient, le gouvernement canadien autorisera, comme l’ont déjà fait certaines provinces, la mise en place d’une application de traçage numérique liée à la pandémie. Cette application facilitera le traçage de contacts qu’aurait eus une personne porteuse de la COVID-19 afin de, au mieux, proposer un test de dépistage, ou encore envoyer une alerte suggérant de se confiner pendant une période de 14 jours.
Les désavantages nous semblent cependant plus nombreux. Nous en soulèverons trois :
- L’efficacité. Cette technologie doit être utilisée par environ 60 % de la population pour être efficace (envisagera-t-on de nous contraindre à l’utiliser?). Des problèmes techniques ont déjà été soulevés (notamment la nécessité, sur certains téléphones, que l’écran soit déverrouillé pour que l’application fonctionne). Plus encore, cette technologie est susceptible d’engendrer un faux sentiment de sécurité qui nous ferait oublier les mesures de base : lavage des mains, distanciation physique, etc. Cette promesse d’une « paix d’esprit retrouvée » est risquée. Et tout cela aura peu ou pas d’effets sur nos personnes ainées déjà confinées (parfois en CHSLD)…
- La protection de la vie privée. Même si l’application utilise la technologie Bluetooth et propose de détruire les données recueillies après un certain temps, elle demeure vulnérable aux attaques informatiques. Mais ce n’est pas tout. On suggère de poser une série de questions aux usagers sur leur état de santé, afin de mieux cibler les personnes à risque d’éprouver des problèmes, tant physiques que psychologiques. Une fois ces données colligées, quelle assurance aurons-nous qu’elles ne seront pas utilisées à d’autres fins? Mentionnons aussi qu’en Alberta, par exemple, il faut avoir 14 ans et plus pour télécharger cette application. Cela signifie donc que des données seront recueillies sur des personnes mineures.
- Les effets secondaires. Même si cette technologie était efficace, que la protection de la vie privée était assurée et qu’on faisait au mieux pour pallier les inégalités (p. ex. : interdiction du passeport d’immunité, fabrication de dispositifs Bluetooth distribués gratuitement, assurance d’un consentement éclairé), même si tous ces critères étaient remplis (ce qui au demeurant semble peu probable), il y aurait encore péril en la demeure en raison des effets que l’application est susceptible d’engendrer : désir de surveillance (vertical comme horizontal), désir de traçabilité et banalisation de cette nouvelle réalité.
Le « solutionnisme technologique » a ses limites, et l’urgence de la situation ne justifie pas le fait de remettre certains questionnements à plus tard; car il sera trop tard. Réduire ces questionnements légitimes à un « spasme de la pensée » relève de l’aveuglement volontaire. Dans l’empressement, on risque d’ériger des pratiques dont les effets, eux, seront permanents. Et c’est connu, l’état d’urgence laisse toujours des traces dans l’appareil répressif; ce sont ces traces qui m’inquiètent le plus.
Je persiste et signe : le traçage numérique – IA ou pas – n’est pas une solution à la crise de santé publique.
Julie Paquette est signataire de la déclaration de la Ligue des droits et libertés « Le traçage numérique n’est pas un remède à la crise de santé publique ».
Elle est professeure à l’École d’éthique, de justice sociale et de service public. Elle donne depuis 2015 le cours de niveau maîtrise « Éthique, information et vie privée ». Depuis 2019, elle coordonne l’École d’hiver en éthique sur les algorithmes et les Big Data dans le secteur public. Elle est codirectrice, avec Émilie Dionne, d’un numéro spécial de la revue Global Media Journal sur les médiations algorithmiques et les mégadonnées à l’ère du numérique (à paraître à l’été 2020) et est l’auteure de l’article « De la société disciplinaire à la société algorithmique : considérations éthiques autour de l’enjeu du Big Data », paru dans le French Journal For Media Research, n° 9/2018.

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